Le cannabis est confronté à de gros risques ESG

L’industrie ferait bien d’adopter des pratiques durables dès le début.

Jon Hale 18 octobre, 2019 | 9:20
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Cannabis plant

Ce n’est pas tous les jours qu’une industrie entièrement nouvelle émerge pratiquement du jour au lendemain après avoir eu une existence pour la plupart illégale pendant des décennies, mais c’est exactement le cas du cannabis aujourd’hui. À la différence de la plupart des autres industries nouvelles, dont la survie à long terme ne peut pas être assurée, le cannabis a une clientèle établie depuis longtemps, à la fois dans son usage médical et récréatif. La question n’est donc pas vraiment de savoir si le cannabis aura une empreinte sur le consommateur, mais à quel rythme l’industrie va se développer, et quelle taille elle va atteindre.

Mais cette industrie du cannabis qui est en train de se développer est confrontée à des risques liés à la durabilité qui pourraient freiner sa croissance et menacer son existence légale déjà fragile. Les investisseurs devraient songer à ces risques quand ils évaluent les sociétés publiques exposées au cannabis ainsi que celles qui sont des mises pures. Les sociétés du cannabis devraient prêter une attention particulière aux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance qui les menacent et prendre très tôt des dispositions pour les atténuer. Cela pourrait se traduire par des avantages opérationnels et réputationnels pour ceux qui les prennent tôt et améliorer les perceptions publiques de l’industrie en général. Mieux vaut que le cannabis légal soit considéré comme durable plutôt que comme une autre action pécheresse.

Les risques environnementaux

Pour les sociétés qui produisent du cannabis, l’intensité énergétique est un risque ESG majeur. La culture en intérieur a l’air d’être le meilleur choix pour cultiver le cannabis : elle est plus efficiente et plus sûre, donne le jour à des produits plus uniformes, et peut être située près des marchés finaux. Mais la culture en intérieur dévore de grosses quantités d’énergie. Une étude a estimé que la production de cannabis consommait au moins 1 % de la quantité d’électricité produite dans le pays. [1] La croissance de l’industrie se traduit par une augmentation équivalente de l’impact négatif d’une utilisation massive d’énergie et par les émissions de carbone qui en résultent. Les règlements facturant les émissions de carbone frapperaient donc durement les producteurs de cannabis en intérieur, de même que les règlements propres à l’industrie exigeant des mesures d’efficience énergétique ou les exigences d’élimination des émissions de gaz à effet de serre formulées par les parties concernées. Le spectre des règlements pousse les sociétés à confronter ce risque plus tôt que plus tard en se concentrant sur l’efficience et l’innovation dans le processus de culture. Celles qui le font peuvent réduire leurs coûts énergétiques à long terme tout en récoltant également les avantages liés à la réputation d’un producteur de cannabis durable.

La culture en intérieur devrait se développer en même temps qu’elle devient légale et qu’augmente la demande de produits concentrés utilisés comme matière première pour des extraits et des produits finis imprégnés de cannabis. Le cannabis utilisé pour les concentrés peut être cultivé à l’extérieur dans des conditions plus variables, parce que la qualité et la constance sont moins importantes que pour le cannabis qui doit être consommé sous forme de fleur.

La culture en extérieur consomme beaucoup moins d’énergie mais comporte ses propres risques environnementaux liés aux pesticides, à l’eau et à l’utilisation des sols. Les cultures de cannabis en extérieur sont vulnérables aux moisissures, aux acariens et à d’autres vermines qui doivent être traités chimiquement. Les mauvaises pratiques industrielles, prévient un rapport de Sustainalytics, « peuvent conduire à une contamination environnementale, à des problèmes de santé pour les employés et les clients qui y sont exposés, à des rappels de produits, à des actions en justice, des amendes, la destruction des récoltes et une perte d’acceptabilité sociale. » [2]

L’utilisation d’eau, surtout dans l’Ouest des États-Unis, est un autre risque environnemental pour les cultivateurs de cannabis en extérieur. Une seule plante cultivée en extérieur demande plus de 20 litres d’eau par jour pendant la saison de croissance maximum.[3] Cela met une forte pression sur les cultivateurs pour qu’ils mettent au point des façons plus efficientes d’utiliser l’eau, et fait augmenter la possibilité de restrictions réglementaires de l’utilisation d’eau, surtout aux périodes de carence ou de sécheresse.

Enfin, un rapport de 2017 a trouvé que, sur la base de la place requise pour chaque plante, la production de cannabis peut conduire à davantage de fragmentation des forêts que le bois d’œuvre, et elle est liée à la modification des cours d’eau, à l’érosion des sols et aux glissements de terrain.[4] Tous ces problèmes, surtout si aucune mesure proactive n’est prise au sein de l’industrie du cannabis, pourraient inviter le public et les autorités à y regarder de plus près, avec pour corollaire une augmentation des coûts et une fragilisation de l’acceptabilité du produit par la collectivité.

Les risques sociaux

L’industrie du cannabis est confrontée à tout un éventail de risques sociaux associés à ses produits, à commencer par leurs effets sur la santé. Une législation généralisée conduira à davantage de recherches scientifiques sur les effets de l’utilisation du cannabis en général, et à une plus grande attention des autorités quant aux effets qu’ont certains produits sur la santé. Bien que de l’avis général le cannabis soit relativement sain lorsqu’utilisé de façon récréative par les adultes et bien qu’il offre certains avantages médicaux, des études scientifiques plus poussées pourraient renforcer ces allégations ou les invalider.

Les cultivateurs ou détaillants du cannabis et de ses produits pourraient être soumis à un examen minutieux du public et des autorités sur leurs pratiques de marketing, notamment si c’est la jeunesse qui paraît être prise pour cible. Plus généralement, l’industrie devra s’employer davantage, en l’absence d’autres études scientifiques, à éviter de vanter indûment les mérites de leurs produits pour la santé et de passer sous silence leurs inconvénients éventuels. [5] Les sociétés qui s’attachent particulièrement à créer des produits sûrs, à les étiqueter clairement, et à les commercialiser de façon responsable, peuvent atténuer ces risques.

Les risques liés à la gouvernance

Dans le domaine de la gouvernance, les plus gros risques relèvent de l’éthique et de la transparence. Le besoin de se procurer des permis du gouvernement pour faire pousser les plantes, fabriquer les produits et ouvrir les boutiques signifie que les sociétés du cannabis pourraient bien faire l’objet d’un examen attentif sur leurs interactions avec les autorités et leur influence sur ces dernières. Les sociétés dotées de normes déontologiques élevées et faisant vœu de transparence dans leurs activités de lobbying et leurs dépenses politiques seront mieux positionnées pour se prêter à cet examen.

Lorsque les sociétés parties prenantes de l’industrie du cannabis se penchent sur la constitution de leur conseil d’administration, elles devraient se tourner vers la diversité et les compétences. La présence de femmes et de gens de couleur devrait être un fait accompli, surtout pour ces derniers à cause de l’impact disproportionné qu’a eue sur eux la prohibition. Avoir des administrateurs et administratrices dotés de compétences dans les domaines de la santé, du marketing et de l’impact environnemental peuvent mettre un conseil d’administration en bonne position pour garder l’œil sur tous les risques qui menacent une société.

Malgré l’élan actuel en faveur de la légalisation du cannabis aux États-Unis, la caution de la collectivité demeure ténue. Une façon de la renforcer est d’inciter les sociétés du cannabis à faire preuve de civisme en livrant un combat ESG efficace. Parfois, dans le chaos qui marque le sillage d’une industrie à croissance rapide et aux multiples intervenants nouveaux, aborder les questions de durabilité passe au second plan car ce n’est pas considéré crucial pour le développement de l’entreprise. Mais on peut parfaitement argumenter que les firmes qui s’imposent comme des chefs de file dans ce domaine bénéficieront d’une acceptation sociale plus grande que les traînards. Mais plus important encore : il est probable qu’intégrer les pratiques durables dès le début est plus facile que céder à la pression des parties prenantes. Une industrie du cannabis qui se développe dans un contexte de durabilité fonctionnera mieux pour toutes les parties concernées.

Cet article sera publié dans le numéro d’hiver du magazine Morningstar.

 1. Warren, G.S. 2015. “Regulating Pot to Save the Polar Bear.” Columbia Journal of Environmental Law, Vol. 40, PP. 385-432.
2. Vezer, M. & Morrow, D. 2018. “The budding cannabis industry: a first look at ESG considerations.” Sustainalytics Thematic Research, 12 juillet 2018.
3. Madhusoodanan, J. 2019. “Can cannabis go green?” Nature, 28 août 2019.
4. Wang, I., Brenner, J., & Butsic, V. “Cannabis, an emerging agricultural crop, leads to deforestation and fragmentation.” Frontiers in Ecology and the Environment, Vol. 15 (9), PP. 495-501.
5. Ratte, A. & Swynghedauw, L. 2019. “Clearing the Smoke Around Cannabis.” MSCI Issue Brief, juin 2019.

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À propos de l'auteur

Jon Hale

Jon Hale  Jon Hale, Ph.D., CFA, est directeur de la recherche sur la durabilité à Morningstar.